silvia dogliani photojournaliste

15 mars 2019

Interview de Silvia Dogliani, photojournaliste freelance

Quand je te parle de suivre ton instinct dans les évenéments de networking, cette interview en est certainement la preuve. La vie de freelance est faite de belles rencontres.

C’est dans une galerie d’art à Singapour que j’ai rencontré Silvia Dogliani, alors qu’elle était de passage. J’ai entendu son nom, son accent et surtout, qu’elle était photographe et même plus, photojournaliste. J’ai attendu et je l’ai abordé en italien. Je ne sais pas pourquoi, mais je me souviens très bien que j’ai senti qu’il fallait absolument que je lui parle.

silivia dogliani photojournaliste
Silvia Dogliani©Ph.Riccardo Bastianello

Je ne sais pas non plus ce qui m’a pris, mais je lui ai demandé directement si elle était d’accord de faire des photos pour moi. Et le résultat, ce sont les magnifiques photos de mon site internet. Celles de ma petite personne.

Pourtant, Silvia ne fait habituellement pas ce genre de photos. C’était un vrai cadeau de sa part. Alors j’ai décidé de lui donner la parole pour qu’elle nous explique mieux son métier de photojournaliste freelance.

Encore un photographe, tu vas me dire! Tant mieux, ça signifie que tu as déjà lu l’interview de Fabrice Dieudonné, photographe plongeur à Koh Lanta!

Si ces deux interviews ont des points communs, le métier n’est pas tout à fait le même.

Je te laisse donc découvrir l’interview de Silvia Dogliani, photojournaliste freelance.

Comment as-tu “rencontré” la photographie?

Mon grand-père du côté de ma mère était passionné par la photographie. Très petite je voyais des photos en noir et blanc à la maison et j’étais déjà très intéressée. Puis, mon autre grand-père m’a, lui, offert mon premier appareil photo, un Yashica. Avant ça, j’avais déjà utilisé des petits appareils photo basiques, mais c’est avec cet appareil que j’ai vraiment commencé à faire de la photographie. Par la suite, j’ai pris des cours liés à la photo dans ma petite ville en Italie.

À 14 ans, j’ai fait un voyage à New York chez une amie de ma mère passionnée de photographie. Un jour, elle m’a emmenée dans une chambre noire, à côté de l’Université de Colombia, qu’on pouvait louer à une association. Elle m’a montré comment développer les photos. Pour moi, c’était magique! Je pense que c’est après ça que j’ai décidé de devenir photographe.

Et quelles formations as-tu suivi?

J’ai fait une année d’échange aux Etats-Unis pendant que j’étais au lycée. Là-bas, j’ai travaillé pour un photographe qui faisait surtout des mariages.

À la fin du lycée j’ai dû choisir entre photo et journalisme. J’aimais les deux et j’écrivais déjà des petites histoires. L’écriture et la photo ont toujours été mes passions. Je ne savais pas quoi choisir. Finalement, j’ai choisi de m’inscrire à l’Istituto Europeo di Design de Milan. Parallèlement, je me suis inscrite à l’Université en science politique.

C’était un peu difficile de faire les deux en même temps. J’étudiais la nuit pour l’université et la journée pour la photo. Heureusement, j’étais dans un groupe d’étudiants qui m’a beaucoup aidée, notamment en me passant leurs notes ou en me préparant pour les examens. J’ai bien réussi les premiers examens alors j’ai continué.

J’ai d’abord eu le diplôme en photo puis, j’ai eu ma licence en Science politique.

Alors que j’étais à l’université, j’ai travaillé pour plusieurs photographes en tant qu’assistante. J’ai également rencontré un ami dont les parents avaient une maison d’édition et j’ai commencé à travailler pour eux dans le journalisme.

Puis, j’ai proposé des articles à Cosmopolitan et j’ai commencé comme ça.

Quelles sont les qualités nécessaires à avoir, selon toi, pour être photographe?

Je pense qu’il faut être curieux. Il faut certes avoir des yeux mais il faut avoir des passions, des sentiments, aimer chercher des choses autour de soi. Il faut être dynamique. Pas rester à la maison, en attendant que quelque chose se passe. Il faut voyager si on en a l’occasion.

Il faut aussi lire beaucoup, aller voir des expositions et regarder le travail d’autres photographes pour former son propre regard.

Et il faut aussi un peu de fantaisie!

Comment trouves-tu les idées de sujets sur lesquels tu travailles ?

Je travaille surtout sur des reportages. Je raconte des histoires. J’aime beaucoup les gens alors en général, ce sont des histoires liées à des personnes sur des problématiques sociales.

La première question que je me pose est de savoir si le sujet va intéresser le public ou si ça n’intéresse que moi.

Je lis aussi beaucoup de journaux. Je fais des recherches pour savoir s’il est possible de creuser un sujet et s’il y a des angles intéressants à traiter.

Si toutes ces conditions sont remplies, je garde le sujet. Sinon, je le laisse tomber.

Est-ce que ce sont les journaux qui te commandent les reportages?

Ça dépend. Mais le plus souvent j’amène des idées aux journaux puis, ils me donnent des directions pour réaliser le reportage.

Si tu travaillent régulièrement avec des revues comme je l’ai fait par le passé, en principe, on te donne une liste d’un certains nombre de thèmes que tu dois traiter chaque mois. Et si tu as le temps, tu parles de choses qui t’intéressent toi. Mais il faut avoir le temps…

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Myanmar-Ouvrières d’une fabrique de tissus Mandalay©Silvia Dogliani

Est-ce que tu exposes également ton travail dans des galeries?

Principalement, je travaille pour des revues. J’ai déjà fait 4 ou 5 expositions. Les expositions sont un aspect que j’aimerais vraiment développer.

Avec quel matériel travailles-tu ?

C’est très important d’avoir un bon matériel, mais il ne faut pas focaliser uniquement sur ça. Il faut aussi avoir une culture de la photographie et pas seulement posséder la technologie. C’est un conseil que je donne surtout aux jeunes que je vois très centrés sur le matériel.

Moi, j’utilise depuis longtemps un Nikon. Maintenant, je suis passée au digital avec un D-700. Je pense qu’il est plus important d’avoir un bon objectif qu’un bon appareil, même si avoir les deux, c’est bien. Et pour l’objectif, j’utilise un 24.70mm 1:2:8.

Comme dans les ordinateurs où il y a Mac et PC, il y a Nikon et Canon!

Quelle est la partie que tu préfères dans ton métier en tant qu’entrepreneure et celle que tu n’aimes pas ?

La partie que je n’aime pas est qu’il y a beaucoup d’incertitudes dans ce métier et surtout, actuellement.

Avant on savait qu’il y avait de la compétition entre professionnels de la photo ou du journalisme qui avaient fait des études et qui avaient de l’expérience.

Maintenant, tout le monde est photographe ou journaliste et ce n’est plus vraiment une compétition. C’est simplement plus difficile de montrer en tant que professionnel que derrière ton travail il y a une vraie recherche et une vraie réflexion.

Il y a aussi une déontologie et une éthique qu’on apprend lorsqu’on se forme à se métier. Et c’est pourquoi on prend du temps pour vérifier nos sources et faire des recherches.


Ce qui me procure des émotions, c’est le moment où j’appuie sur le déclencheur.

Du coup, les professionnels paraissent trop chers, trop lents ou trop compliqués et il y a de moins en moins de place pour eux. Ou alors, on doit faire des compromis économiques incroyables que parfois, personnellement, je n’acceptent pas.

À l’opposé, j’adore mon métier. Je le fais par passion et il me donne l’opportunité de voyager, ce que j’aime énormément aussi. C’est un métier de passion. D’ailleurs, je trouve que, pour faire un métier, il faut être passionné. Mais également avoir un retour économique.

Tu as déjà abordé les changements liés à l’arrivée du numérique. Peux-tu nous en dire plus?

Avec la photo traditionnelle, tu utilisais beaucoup ta tête. Tu devais vraiment réfléchir avant de faire les photos, pendant la prise tout en sélectionnant précisément ce que tu voulais photographier et enfin, pendant le grand travail du développement.

Il y avait aussi l’attente: dans ta tête tu avais le résultat, mais jusqu’au développement, tu ne pouvais pas en être sûr. Et tu n’avais pas la possibilité de refaire tes photos.

Maintenant, on sait qu’on a plusieurs options, qu’on peut faire de nombreuses photos, car il n’y a plus le problème du prix de la pellicule. On peut voir tout de suite la photo prise, ce que je n’aime pas, car cela m’empêche de me concentrer comme avant.

De plus, il y a un grand travail à faire après la photo. Rien que faire la sélection sur un écran parmi des centaines de clichés n’est pas ce que j’apprécie.

La post-production a complètement changé. Il n’y a plus de discussion avec tes collègues, d’échanges autour des photos. Et si on expose les photos, il n’y a plus non plus le choix du papier pour l’impression, etc.

Ce qui me procure des émotions, c’est le moment où j’appuie sur le déclencheur. Avant, il y avait aussi l’attente du résultat qui était une émotion.

Que penses-tu des pubs d’Apple montrant des photos faites avec l’Iphone pour démontrer sa qualité?

Je dois dire que l’Iphone fait des photos magnifiques. Mais, pour moi, je n’ai pas mon objectif, ce qui signifie que je ne peux pas faire ce que je veux mais uniquement ce que l’appareil veut.

Mais je vois passer de grands résultats surtout chez les jeunes. Avec des prises de vue différentes. Le côté expérimental m’intéresse. Essayer des choses, c’est toujours positif.

Et que penses-tu de l’arrivée des réseaux sociaux ?

J’aime et je déteste les réseaux sociaux. J’aime, car cela permet d’avoir une ouverture incroyable et pour moi, c’est très important. J’aime beaucoup regarder le travail des autres et c’est un bon moyen pour faire la promotion de mon travail. Mais il faut savoir les utiliser et se former auprès d’experts.

En revanche, je pense qu’ils peuvent aussi banaliser la photo et, en montrant, tout ce qu’on fait dans sa vie, il y a un côté égocentrique qui me déplaît.


Il faut être généreux! Partager, échanger, aide à s’enrichir.

Il y a aussi des tendances qui deviennent très restrictives. Un photographe fait des choses différentes. Il travaille avec son oeil, son corps, son regard différent. Il ne suit pas la mode mais son point de vue.

C’est pour cette raison que je pense que connaître l’histoire de la photographie est très important pour développer son style.

Quel est le souvenir le plus fort de ta carrière ?

Il y en a énormément, évidemment!

Je me souviens que j’étais en Inde et il y avait le 25e anniversaire de l’Indépendance. J’ai couvert les célébrations pour Cosmopolitan. Je travaillais encore avec un appareil traditionnel et j’avais mis une pellicule noir-blanc. Et une famille est arrivée avec une bannière. Je me suis dit que cette photo allait être magnifique.

Juste après, tout mon matériel a été volé. J’ai perdu tout mon travail. J’en étais malade.

Encore aujourd’hui, je me souviens parfaitement de cette photo, de ces visages, de leur expression, du cadrage, de la lumière, des ombres… mais tout est enregistré dans ma tête et dans ce film, perdu dans le néant.

Quels conseils donnerais-tu à des jeunes photographes?

En plus de ceux que j’ai déjà donnés, je dirais: rester humble. Il y a plein de photographes meilleurs que toi. Toujours.

Une autre chose est d’accepter les critiques. Les prendre en compte pour s’améliorer. Je le fais depuis toujours et je continuerai à le faire.

Essayer de travailler sur la qualité et non sur la quantité est un autre conseil.

Au niveau pratique, je dirais prendre des contacts en appelant. Pas seulement depuis un écran. Il ne faut pas avoir peut d’appeler. Je pense vraiment qu’appeler les gens, avoir un vrai contact, change quelque chose.

Et une dernière chose très importante: il faut être généreux! Partager, échanger, aide à s’enrichir. J’ai appris beaucoup grâce aux conseils d’autres photographes qui étaient généreux. Moi-même, j’aimerais partager mes secrets avec quelqu’un qui le mérite.

Et à des photographes amateurs?

S’amuser!

Si tu aimes faire des photos avec l’Iphone, vas-y. Mais essaie de construire ton regard. Ne fais pas ce que font les autres. Essaie de faire quelque chose que tu aimes faire et qui est différent des autres.

Quels sont tes projets ? Tes rêves les plus fous ?

Il y en a plein!

Parmi les projets, il y a m’approcher du monde arabe et donc retourner au Moyen-Orient.

Essayer de travailler avec des galeries d’art, c’est vraiment là-dessus que je vais me concentrer. J’aimerais prendre le temps de faire des choses plus artistiques.

Et mon rêve est de vivre entre l’Italie et le Maroc où j’acheterais un riyad au Maroc pour y faire mon atelier, y accueillir d’autres artistes pour échanger et faire des expositions.

Pour découvrir le travail de Silvia, tu peux aller visiter son site internet: www.silviadogliani.com ou la suivre sur Instagram.

Elle gère également régulièrement à la revue Focus Méditerranéeoù tu peux retrouver certains de ses reportages.

As-tu eu le déclic?

Silvia Dogliani photojournaliste

par Delphine Berclaz